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LA ROBE / THE DRESS

Illustration for the text by the same name

written by Ann Gangloff

La robe

Anna se tenait face au miroir dans une robe cousue d’ors et de brocarts. Ses yeux
brillaient de plaisir. Autour d’elle, une multitude d’étoffes étaient répandues sur le sol.
Le bustier de velours noir crissa sous ses doigts lorsqu’elle l’ajusta sur sa peau. Un
frisson glacé parcourut son corps et ses nerfs se tendirent légèrement. Le tissu résistait
imperceptiblement et refluait vers sa gorge.
Anna soupira. Le tissu battait comme un cœur sur sa peau et ses mains frémirent sur
les fils un peu rêches de la couture qui épousaient la courbe de la poitrine.
Elle tenta de calmer son impatience. Il fallait juste laisser le tissu tomber et s’ajuster.
Elle s’absorba dans la contemplation du velours qui luisait dans la pénombre. Il irradiait et
vibrait de toutes ses fibres patientes et languides. L’air, épais et lourd, le velours, sa
touffeur, sa densité, la fit presque suffoquer.
La robe semblait s’animer d’une vie propre sur son corps, jouer d’arabesques et de
plis, se moquer de sa chair de femme éprise.
Le tissu s’élançait gracieusement vers l’épaule dans une tonalité suave et tendre,
prise dans le taffetas orange, léger et aérien. Il rencontra le velours dans un bruissement
imperceptible, un accord tacite et amoureux.
Anna attendait l’homme qui viendrait ôter cette robe lourde et compliquée qui
chantait sur sa peau.
Elle la sentait ondoyer à la taille, prendre la cambrure de ses reins, exigeante et
tyrannique.
Alors, elle se redressa, lissa sa chair de l’intérieur, inspira, rentra le ventre. Elle posa
sa main sur sa hanche où se concentrait la chaleur du tissu. La robe brûlait ou était-ce elle
qui se consumait en elle ?
Une rigole de sueur creusa son dos ; les lacets du corset mordaient le bas des reins.
Le brocard se tordait et gémissait dans un désordre de fils sous l’apparente tranquillité du
tissu. La robe menaçait, chavirait, appelait l’Homme …
Anna sourit, son corps alourdi par la robe lui plaisait. Elle lui faisait éprouver sa
pesanteur, la vulnérabilité de son corps soumis au désir, la douleur et le ravissement de sa
chair en attente.
Le brocard de la jupe, légèrement glacé la fit tressaillir. Le tissu bruissait, murmurait
sur ses jambes gainées de noir dans une sorte de chuchotis électrique.
Elle écouta cette histoire rejouée tant de fois, cette histoire de peau tendre et
onctueuse aux prises avec un vêtement de femme.

Les étoffes palpitaient d’une vie intense et secrète, te prendre, t’attraper, m’enfouir,
t’accueillir, recueillie, emmêlée, captivée, enchantée, joie rythmée, cadence, sauvagerie
douce.
Puis dans le galbe du mollet, le jupon fut syncope et ravissement. La dentelle taquina
la cheville, le pied se cambra.
Anna se haussa sur ses pieds, ajouta sur ses lèvres un peu de rouge.
Elle était prête.

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